J’étais bien fichue, j’avais
une belle carrosserie, des courbes harmonieuses, un châssis bien droit, deux jolies phares bien plantés.
Je tenais la route, jamais en panne, jamais bancale, obéissante comme pas deux.
Jamais il ne me brusquait et même il me bichonnait. Il fallait que tout soit
OK, que tout soit bien en place et face, sinon envie, du moins démontre que
poser à côté de moi, valorisait mon partenaire. Il se tenait fier, droit,
jetant un œil dans ma direction, inspectant d’un regard circulaire si je lui
faisais honneur. Il aimait qu’on nous regarde. Nous faisions corps tous les
deux. Dans les moments de bonheur, il m’appelait : Titine et ça me faisait
démarrer sur les chapeaux de roues.
Et un jour, une autre,
plus belle, plus jeune que moi l’a attiré. C’en était fini de son amour et moi
je n’ai pas compris. Je m’étais attachée à ses écarts de conduite. Tout, je lui
pardonnais tout, le bruit qu’il m’infligeait
mettant la radio trop fort à m’en faire péter les tympans et résultat,
il me largue comme ses vieilles chaussettes, me jette comme son vieux slip.
Il m’a présenté à un
autre et ce malotru, a commencé à me tourner autour, me regarder devant,
derrière, sur les côtés, se baissant même pour regarder mon dessous. Il m’a caressé,
tâté, brusqué, me donnant des petits coups de pied. Ah, je vous jure que je
n’ai pas apprécié. Et maintenant, pire encore, cet homme veut m’essayer, me
tester. Vous vous rendez compte, m’essayer, moi ! Ne suis-je pas aussi
présentable et désirable qu’auparavant ?
D’année en année, j’ai
souvent changé de partenaires. Oh, pas de ma faute, non, tous, ils ont eu le
désir d’autre chose que je ne pouvais plus leur procurer.
Aujourd’hui, si je
tousse, nul besoin de s’inquiéter, pour mon âge cela parait normal. Mes
articulations se rouillent, ma souplesse s’amoindrie et même, quelque fois,
dans les montée, j’envoie des petits pets mal odorants.
Je vois bien que je
l’énerve, mon partenaire. Je ne suis plus aussi obéissante qu’avant et il
m’insulte, me traitant de : « saloperie ». Lorsqu’il est ainsi,
il me tape, rajoute des coups de pieds dans mes flans. Me faire ça à moi qui
aie tant donné, tant montré de patience aux partenaires successifs.
Franchement, n’aurais-je pas droit à un peu de compassion ?
J’en connais
de plus vieilles que moi, qui après maintes chirurgie, changement d’organes
sont convoitées par des collectionneurs désireux de les faire défiler devant
tout un parterre. Quelle misère !
Et
un beau jour, une nouvelle atterrante me parvient ; l’Etat lance contre
moi un « contrat ». Une prime sera versée à tous ceux qui me
broieront, m’écraseront, me démoliront, me feront disparaître. Là, je ne
comprends pas. J’ai été réglo toute ma vie. N’ai-je pas tant donné de ma
personne ? N’ai-je pas fourni tous les efforts nécessaires auprès de mes
multiples partenaires, qu’ils soient câlins, brutaux, gros rustres, hauts
fonctionnaires, bas fonctionnaires ? Tous, tous je vous dis, je l’ai ai
malgré tout aimé. Certains me l’on bien rendu, m’ont fait passer des visites
lors de mes défaillances, m’ont remis en ordre de marche et là, l’Etat, que je
croyais intègre, veut faire de moi une œuvre de César. Un carré, un cube tassé,
raplati, informe. Pourtant, terminer ainsi, serait encore mieux que de finir
entassée à la casse, sur d’autre à rouiller en plein air derrière la voie
ferrée comme mes collègues abandonnées.
Moi, pauvre voiture, au
point mort de mon existence, à l’approche de mes derniers instants, je vois
arriver vos toutes dernières créations, sophistiquées à souhait. Ah, vous pensiez
que nous buvions trop, que nous étions trop bruyantes et avec nos consœurs qui nous succèdent, vous
effacez nos anciens défauts. Mais voilà, plus vous nous clonez, plus on se
ressemble, pour sûr ! Alors si vous voulez vous différencier,
attachez-vous à une vieille comme moi. Je peux encore servir, devenir « Couguar.» Qui sait !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire