dimanche 24 novembre 2013

Le cheval entier

Jean Luc s’est fait plaisir, il a investi. Depuis longtemps, il en rêvait, alors, il l’a fait. Et ce matin, tout fier, il m’a dit :
- ça y est, je l’ai acheté… J’ai enfin MON cheval… Et un entier en plus !
- Ah ?

Un cheval entier ? Un morceau de cheval, moi,  je vois ce que ça donne.
-         Bonjour Monsieur le boucher, je désirerai un morceau de cheval, s’il vous plaît !
Tu rentres chez toi, tu prends ton steak de cheval, tu le fais cuire et tu l’avales.  Ou tu le haches et mange tout cru. Mais, purée, un cheval entier, t’en a pour des mois, voire des années.
-         Ah, vivant… Un cheval vivant !
Je recommence :
-         Bonjour Monsieur… Je voudrai une cuisse de cheval. Ben non, plutôt une épaule de ce cheval-là, qui bouge la queue.
-         Elle est givrée, la vieille ! Doit penser le boucher.

Donc, il possède aujourd’hui, un cheval entier. 
Ben c’est mieux quand même, non ?
Je suis allée voir la bête dans son pré électrifié où il broute l’herbe fraîche. Un beau cheval couleur whisky avec des yeux de biche tout marron, une belle crinière et, c’est vrai il est entier, il a quatre jambes, une tête, un corps, tout quoi ! Vrai de vrai un très beau cheval. Quand je pense que je le voyais dans l’assiette, jamais il y rentrera, pour sûr !

-         Tu vois, on se rend compte de suite que c’est un entier ! Annonce Jean Luc.
-         Ben oui, je le constate ! Dis-je.
Jean Luc se tourne vers moi et commence à m’expliquer qu’il va devoir prendre des précautions avec son cheval entier. Aurait-il peur qu’on lui en pique un morceau ? C’est ridicule. Et il continue dans sa lancée :
-         La différence entre un entier et un coupé, c’est qu’il est plus agressif, il ne faut pas trop qu’une femelle soit à côté !

J’ai pigé, enfin compris. La bête, c’est moi. Entier… Coupé… Fallait m’expliquer d’emblée, et pas me laisser cogiter avec des morceaux de cheval par ci, des morceaux de cheval par là. J’ai devant moi une bestiole où tout est réuni, un  entier… Quoi, avec tout ce qu'il faut !

dimanche 17 novembre 2013

Prime à la casse - F

J’étais bien fichue, j’avais une belle carrosserie, des courbes harmonieuses, un châssis  bien droit, deux jolies phares bien plantés. Je tenais la route, jamais en panne, jamais bancale, obéissante comme pas deux. Jamais il ne me brusquait et même il me bichonnait. Il fallait que tout soit OK, que tout soit bien en place et face, sinon envie, du moins démontre que poser à côté de moi, valorisait mon partenaire. Il se tenait fier, droit, jetant un œil dans ma direction, inspectant d’un regard circulaire si je lui faisais honneur. Il aimait qu’on nous regarde. Nous faisions corps tous les deux. Dans les moments de bonheur, il m’appelait : Titine et ça me faisait démarrer sur les chapeaux de roues.

Et un jour, une autre, plus belle, plus jeune que moi l’a attiré. C’en était fini de son amour et moi je n’ai pas compris. Je m’étais attachée à ses écarts de conduite. Tout, je lui pardonnais tout, le bruit qu’il m’infligeait  mettant la radio trop fort à m’en faire péter les tympans et résultat, il me largue comme ses vieilles chaussettes, me jette comme son vieux slip.

Il m’a présenté à un autre et ce malotru, a commencé à me tourner autour, me regarder devant, derrière, sur les côtés, se baissant même pour regarder mon dessous. Il m’a caressé, tâté, brusqué, me donnant des petits coups de pied. Ah, je vous jure que je n’ai pas apprécié. Et maintenant, pire encore, cet homme veut m’essayer, me tester. Vous vous rendez compte, m’essayer, moi ! Ne suis-je pas aussi présentable et désirable qu’auparavant ?

D’année en année, j’ai souvent changé de partenaires. Oh, pas de ma faute, non, tous, ils ont eu le désir d’autre chose que je ne pouvais plus leur procurer. 
Aujourd’hui, si je tousse, nul besoin de s’inquiéter, pour mon âge cela parait normal. Mes articulations se rouillent, ma souplesse s’amoindrie et même, quelque fois, dans les montée, j’envoie des petits pets mal odorants. 
Je vois bien que je l’énerve, mon partenaire. Je ne suis plus aussi obéissante qu’avant et il m’insulte, me traitant de : « saloperie ». Lorsqu’il est ainsi, il me tape, rajoute des coups de pieds dans mes flans. Me faire ça à moi qui aie tant donné, tant montré de patience aux partenaires successifs. Franchement, n’aurais-je pas droit à un peu de compassion ? 
J’en connais de plus vieilles que moi, qui après maintes chirurgie, changement d’organes sont convoitées par des collectionneurs désireux de les faire défiler devant tout un parterre. Quelle misère !

Et un beau jour, une nouvelle atterrante me parvient ; l’Etat lance contre moi un « contrat ». Une prime sera versée à tous ceux qui me broieront, m’écraseront, me démoliront, me feront disparaître. Là, je ne comprends pas. J’ai été réglo toute ma vie. N’ai-je pas tant donné de ma personne ? N’ai-je pas fourni tous les efforts nécessaires auprès de mes multiples partenaires, qu’ils soient câlins, brutaux, gros rustres, hauts fonctionnaires, bas fonctionnaires ? Tous, tous je vous dis, je l’ai ai malgré tout aimé. Certains me l’on bien rendu, m’ont fait passer des visites lors de mes défaillances, m’ont remis en ordre de marche et là, l’Etat, que je croyais intègre, veut faire de moi une œuvre de César. Un carré, un cube tassé, raplati, informe. Pourtant, terminer ainsi, serait encore mieux que de finir entassée à la casse, sur d’autre à rouiller en plein air derrière la voie ferrée comme mes collègues abandonnées.

Moi, pauvre voiture, au point mort de mon existence, à l’approche de mes derniers instants, je vois arriver vos toutes dernières créations, sophistiquées à souhait. Ah, vous pensiez que nous buvions trop, que nous étions trop bruyantes et  avec nos consœurs qui nous succèdent, vous effacez nos anciens défauts. Mais voilà, plus vous nous clonez, plus on se ressemble, pour sûr ! Alors si vous voulez vous différencier, attachez-vous à une vieille comme moi. Je peux encore servir, devenir « Couguar.» Qui sait !

vendredi 8 novembre 2013

Aquagym - F

L’aquagym… L’aquagym c’est merveilleux ! Tous en maillot de bain, seyant ? Pas sûr ! 
Bibendum quelquefois, ou peut être Bibendum souvent, mais chacun fait des efforts pour ne pas montrer ou justement l’inverse, pour se faire voir, c’est selon. 
Donc, tu as tenté des maillots justes-au-corps pour te mincir. Pas de chance, c’est peine perdue. Ça dépasse du dessus, ça tombe du dessous, ta peau frise, ride à tous niveaux… Bras, Jambes, cuisses, cou, dos… N’en jetez plus, la cour est pleine ! Euh ! La piscine est pleine, pleine de nous, aquagymeurs de tous poils.
Moyenne d’âge ? Trois ! Pas trois ans, troisième … Âge, cheveux gris, or gris. Cheveux par contre, c’est une supposition, car on nous attife de bonnets qui nous font une tête de suppositoire. Oui, j’ai bien dit : suppositoire, ou pire, capote mal posée. 
Attention à l’éjection si celle-ci est en caoutchouc, elle s’insère avec difficulté sur les crânes et enserre la pauvre tête qui commence à se faire des nœuds… Au cerveau. Vérifiez l’expression : tête de no…
Bon ! Le cours commence ! Échauffement, en douceur, largeurs de bassin aller/retour, et que ça saute. Non, pas encore, sauter c’est pour dans vingt minutes, pas avant.
-        Montez les genoux jusqu’à la poitrine ! Dit le maître-nageur.
-   Moi, j’ai de la chance, ma poitrine est tombée, moins d’efforts à fournir !
C’est le ballet des corbeaux aquatiques, tous habillés de noir, et de temps en temps, un maillot bleu fait son apparition et vient égayer, telle une fleur isolée, tous ces « noirs maillots.»
-    Jambe droite en équerre sur le côté et faites pivoter vers l’arrière ! Annonce le maître-nageur d’une forte voix pour que tous entendent car le bonnet fait bouchon en couvrant les oreilles, et surtout, comprennent.
Mais voilà, l’a pas compris la madame derrière moi.  Elle tique. Pour une aquatique, c’est peut être normal. Faudrait lui faire une gymnastique des neurones, une connexion individuelle, une « neurogym.» Elle ne suit pas la cadence. Le rythme est trop dense. Elle n’entre pas dans la danse. Quelle engeance !
J’avais un doute, je croyais qu’elle fayotait, mais non, elle ne pige rien. C’est pire ! Petite tête au propre, car j’espère qu’elle est propre, comme au figuré.
Figurez-vous la scène… vingt-cinq baigneurs, luttant contre l’eau pour endurcir leur corps « d’athlète » de plus de soixante ans -  Si, je vous l’avais dit : troisième âge, rappelez-vous – donc, corps d’athlète sans barres de chocolat – nous, on les avale les chocolats – qui gesticulent en quasi cadence, c’est d’une beauté !
-         Maintenant, pour finir, on va s’étirer !
-        O.K., je me tire !
Direction les bulles du jacuzzi, coincer la bulle, les bulles ! Emprisonner les microbes et les crobes, mais jamais malades, nous autres, on est vaccinés depuis le temps qu’on trempe !